A 80 ans, Charles Gave est plus que jamais une référence dans l’univers de l’économie et de la finance. Il a notamment créé la société Gavekal Research, désormais dirigée par son fils Louis-Vincent, qui conseille 1.000 institutions financières dans le monde et publie une lettre d'information quotidienne d'analyse des marchés, lue par 17.000 gérants de fonds. Il préside l’Institut des Libertés, un think tank économique.
Charles Gave a de profondes attaches sur le bassin Adour Gascogne - Voir l’encadré en fin d’article.
Son dernier ouvrage, « La vérité vous rendra libre » (Editions De Taillac), rencontre un beau succès et s’affiche comme le N°1 des ventes sur Amazon, avec déjà plus de 20.000 exemplaires.
Rencontre en deux épisodes…
Vous êtes d’abord un économiste. Mais avec quelle approche ?
Charles Gave - Je me tue à le dire aux gens, l’économie est une branche de la Logique, donc une branche de la Philosophie. Elle n’est en rien une branche de la Science et encore moins des Mathématiques et de l'Astrologie (rire). L’économie s'applique à l'activité humaine quand elle cherche à s'insérer dans le monde des échanges. A ce moment-là, il y a une série de choses qui sont nécessaires. J'ai essayé de les préciser tout au long de ma vie. La plupart des gens pensent que l'économie consiste à savoir ce que va faire le PIB, le chômage, etc. La seule chose qui m'a toujours intéressé c'est : pourquoi les choses et les services ont-ils une valeur ? Et, comment mesure-t-on cette valeur ?
Avec quels outils ?
Ch. G. - En principe, c'est la monnaie. L’économie s’intéresse aux échanges qui se passent au travers de la monnaie et qui donnent lieu à la création d’un prix. Et il est important de comprendre pourquoi ces prix bougent tout le temps. Pourquoi ne restent-ils pas fixes ? De fait, le prix est le système d'information qu’ont les entrepreneurs pour prendre leurs décisions. Pour moi, l'économie c'est une étude sur les valeurs telles qu'elles sont exprimées au travers des prix dans un marché libre. A partir de là, on peut essayer de bâtir une compréhension. Le PIB (produit intérieur brut) est une construction absurde, car la moitié des valeurs/prix est déterminée par le marché et l'autre moitié par l'État.
Et l’humain dans tout ça ?
Ch. G. - Pour moi, l’économie, c'est vraiment la recherche de compréhension de comment fonctionnent les humains quand ils ont à faire des transactions financières et monétaires. Qu’est-ce qui les motive ? Pourquoi cherchent-ils à échanger tout le temps ? Et dans ce monde des échanges, il y a une catégorie qui est tout à fait spéciale : les entrepreneurs. L'entrepreneur, c'est le gars qui est le paratonnerre à risques dans le système. C'est-à-dire qu'il accepte de tout perdre au contraire du reste de la population qui cherche la sécurité. L’entrepreneur, lui, accepte de vivre dans l'insécurité la plus totale. C’est donc lui qui permet au système d'avancer puisqu'il est le seul à prendre des risques.
Vous n’êtes pas un fervent admirateur de l’homo economicus…
Ch. G. – C’est vrai. L'économie c'est d’abord une recherche intellectuelle sur l'homme qui cherche à produire et à vivre de son travail. J’insiste, ce n'est pas une branche des Mathématiques et la prévision est impossible. Mais, comprendre est possible. Nombre d’économistes prennent des chiffres qui ne veulent rien dire, comme les chiffres du PIB. Ils les rentrent dans des ordinateurs, font tourner des modèles… Bien entendu, leurs résultats n’ont aucun intérêt, mais ils publient des résultats avec deux décimales. Comme disait mon éminent professeur de statistiques à Toulouse : quand vous faites des prévisions, il faut toujours inscrire 2 chiffres après la virgule parce que ça donne l'impression aux gens que, du coup, vous êtes un scientifique.
Quelles vérifications ?
Ch. G. - Ce que j'aime dans les marchés financiers, c'est que les gens « jouent » avec leur propre argent. Ce que je trouve très intéressant, c'est que là on peut vérifier, en regardant la façon dont les valeurs sont mesurées, par la Bourse notamment : ça monte, ça baisse, etc. Je peux ainsi vérifier si mes hypothèses de création de valeur sont acceptées ou pas, par la Bourse. La Bourse, en quelque sorte, se trompe tout le temps sur le court terme, mais jamais sur le long terme. C'est exactement l'inverse des hommes politiques.
Votre avis sur la situation actuelle avec le poids de la dette des États ?
Ch. G. – On atteint des chiffres affolants. La France est entrée dans une situation que Keynes appelait la trappe à dette. Et de même aux États-Unis, en Angleterre et à peu près dans tous les pays de l'OCDE, à l'exception de la Suède et de la Suisse qui sont gérées de façon intelligente depuis longtemps. D’abord on emprunte, puis on consomme à partir de ces emprunts. Ce qui donne une illusion de prospérité. Mais avec cette dette, il faut payer les intérêts et ensuite rembourser le capital. Et il arrive toujours un moment où, si l’on continue à s’endetter, le service de la dette devient supérieur aux subventions qui sont distribuées avec les sommes empruntées. La chute inarrêtable commence. C’est ce qu'on appelle la trappe à dette.
Et alors ?
Ch. G. – Plus la dette augmente, plus le pays s'appauvrit. C'est comme si tu prenais un coup de schnaps quand tu n’as pas le moral. Tu te sens mieux, mais si tu fais ça un peu trop souvent tu attrapes une cirrhose du foie, et tu ne t'en remets pas. Aujourd'hui, dans la plupart des pays développés, on est déjà au stade de la cirrhose. Nous sommes dans une phase rapide d’appauvrissement du pays. C’est vrai aux Etats-Unis, c'est vrai en Angleterre, c'est vrai partout… Et quand on regarde l’Histoire, c'est là, en général, que se passent les révolutions politiques. Parce qu’au bout d’un moment le paysan de base, il en a marre. Il prend sa fourche, et il va s'occuper des hommes politiques.
Conséquences sur le niveau de vie ?
Ch. G. – D’après les études que je fais (disponibles sur le site de l'Institut des Libertés), on arrive à un moment où je sais, de façon à peu près certaine, que le niveau de vie moyen des Français va baisser d’environ 0,5% par an, à partir de maintenant. Depuis 20 ans, 30 ans, 40 ans… notre consommation était d’abord composée du niveau de vie gagné par le travail des Français auquel nous ajoutions ce que les étrangers voulaient bien nous prêter. Mais aujourd'hui, comme il faut payer la dette et qu’elle est en grande partie contractée à l'extérieur… notre niveau de vie va être égal au travail des Français, moins le remboursement des dettes passées.
Expliquez-nous…
Ch. G. – Pour simplifier, mettons qu’on ait 100% de dette par rapport au PIB et des taux d'intérêt à 3%. Donc, ça fait à peu près 3% du PIB qui doit être consacré au service de la dette. La moitié de notre dette, au moins, est détenue dans différents pays (le Qatar, les fonds de pension hollandais…). On a ainsi 1,5% de notre richesse créée qui va à l'étranger. Notre taux de croissance étant de 1,5% depuis 10 ans, nous n’avons eu aucune croissance de notre niveau de vie depuis. Et comme la charge de la dette va passer à 4 % du PIB cela veut dire que notre croissance ne suffira plus et que, à partir de maintenant, il va falloir que notre niveau de vie baisse pour servir notre dette. À partir du moment où la dette dépasse 100% du PIB, le système d’appauvrissement se met en marche et le niveau de vie ne peut que baisser.
Quid des marchés obligataires ?
Ch. G. – Ils mesurent le risque du crédit aux Etats-Unis, en France, en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne… dans tous les grands pays qui ont emprunté fortement. Si l’on observe la façon dont notre marché obligataire a bougé depuis 3 ans, on constate qu’il a perdu 25%. On a pris une grosse claque. Mais d'habitude, quand tu prenais une claque sur le marché obligataire américain ou français, tu prenais aussi une claque sur le marché obligataire indien, brésilien ou mexicain. Mais désormais, ces marchés montent pendant que les nôtres baissent. C'est-à-dire que les pays qui ont une épargne excédentaire ne veulent plus prêter à la France et préfèrent prêter à l'Inde. Ce qui est une très mauvaise nouvelle.
Que fait l’État ?
Ch. G. – La crise a commencé, et le gouvernement veut, bien sûr, interdire aux épargnants d'acheter des obligations indiennes, mexicaines ou brésiliennes. Il va dire : non, Français, vous ne pouvez pas acheter ça, c’est trop risqué. Vous devez acheter des obligations françaises, c'est tout ce que vous avez le droit de faire. C’est purement et simplement un contrôle des changes pour empêcher les épargnants de se protéger contre leur gestion désastreuse et, c’est ce qu'on appelle la répression financière. Et ils vont jusqu’à imposer aux caisses de retraites d’avoir au moins 50% d'obligations françaises dans leur portefeuille. Ce qui veut dire que ceux qui croient qu’ils vont pouvoir prendre leurs retraites à 65 ans vont être déçus, très déçus.
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Charles Gave et ses attaches dans le bassin Adour Gascogne…
« Mon père était officier en Syrie, où je suis né. Après la guerre d'Algérie, Il avait été nommé au centre de sélection d’Auch. C'était l'endroit où l'Armée française envoyait les jeunes faire leurs 3 jours. C'est à Pau que j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme, Chantal Bège, d'origine béarnaise. J'ai donc des liens assez profonds avec Pau et le Gers, d’autant plus que j’ai deux sœurs qui ont épousé l’une un Béarnais et l’autre un Gascon. Mon beau-frère, Alain de Taillac, descendait de Portos (selon la légende), et il était très proche d’Aimeri de Montesquiou qui lui descendait de d'Artagnan ».
Charles Gave a poursuivi ses études à Toulouse où il a passé un DESS d’économie et obtenu le diplôme de l’Institut des sciences politiques. Il est ensuite parti aux Etats-Unis pour un MBA de finance et gestion, avant de créer plusieurs affaires.
Très proche du regretté André Daguin, Charles Gave a partagé avec lui quelques souvenirs mémorables autour de la gastronomie et du rugby. Au chapitre des anecdotes : « Je me souviens d’un match de rugby entre Auch et Tarbes, en compagnie d’André Daguin. Un énorme derby à l’époque. Alors qu’un joueur de Tarbes restait au sol, KO, le joueur d’Auch qui lui avait mis la mandale est tombé à son tour. J’ai alors demandé à André une explication et il m’a dit : ‘il a dû se faire mal à la maing’. Il était parfait ».
« Il y a une autre attache qui s'est créée avec le Pays Basque plus récemment. Avec Louis, mon fils, il y a quelques années, nous avons décidé de relancer le Biarritz Olympique. Nous sommes tous les deux des gens de rugby. Je l'ai découvert à la fac à Toulouse, j'ai adoré. Mon fils, encore plus. Il était président du principal club à Hong Kong et il continue à jouer dans un club au Canada, avec des bûcherons canadiens. Après tout, pour un catholique, le rugby, c'est le seul sport évangélique, parce que, comme dans l'Évangile, il vaut mieux donner que recevoir (rires) ».
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