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RENCONTRE AVECLe Béarnais Pierre Saubot, autodidacte aux multi-réussites

L’ancien patron du puissant groupe Haulotte pilote de main de maître le Domaine du Cinquau à Artiguelouve : une locomotive viti-vinicole et oenotouristique.
RENCONTRE AVEC – Le Béarnais Pierre Saubot, autodidacte aux multi-réussites
Ingénieur Supelec, cet entrepreneur infatigable n’a exercé son métier de formation que 3 petites années et… une nuit, avant d’enchaîner de belles aventures, devenant notamment le leader européen des nacelles élévatrices.

Sacré Entrepreneur de l’année 2001, pour sa réussite industrielle à la tête d’Haulotte, Pierre Saubot a ensuite passé le relais à son fils Alexandre. Revenu sur sa terre natale, il a donné une nouvelle dimension à la propriété familiale. Et du haut de ses 81 ans, il ne cesse d’enchaîner les projets avec une énergie et un enthousiasme incroyables.
 
Vous venez de faire une découverte prometteuse…
Pierre Saubot –
Absolument. C’est grâce à un ami, Jean-Claude Lassègue de Lacommande, qui a retrouvé à Madrid, le cartulaire avec la liste des propriétés de Sainte Christine du Somport en 1160. C’était le plus gros relais sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Quelques années plus tard, sur des terres données par le seigneur d’Artiguelouve, des moines cisterciens ont découvert un terroir remarquable : ils étaient des disciples de ceux qui ont trouvé les parcelles de l’extraordinaire Clos de Vougeot en Bourgogne, entre-autres.
 
Quelles caractéristiques ?
P. S. –
En fait, on est sur la même veine d’argile gris et bleu que d’autres domaines comme Larredya de Jean-Marc Grussaute et Clos Joliette. C’est un terroir qui magnifie le petit manseng. J’avais replanté la partie haute de la parcelle en 1987. Elle sort du commun et arrive en pleine maturité. Elle fait 5.000 m2 et nous permet de produire un très beau Jurançon. Nous allons mettre en valeur cette vigne historique pour proposer notamment une halte aux pèlerins qui la longent sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.
 
Qu’en est-il de l’ensemble de la propriété ?
P. S. –
Nous avons au total 15 hectares en production et nous avons choisi de passer au bio, en acceptant une chute des rendements. Mais, comme les autres vignerons, nous traversons une période très compliquée avec un creux historique pour la récolte 2023. Celle de 2024 a été à peine meilleure et ne permettra quasiment que de faire des secs, en raison du manque d’ensoleillement. On doit gérer la pénurie, c’est dramatique. Ici, au Cinquau, on est tombé à 40.000 bouteilles par an, la moitié de la production d’il y a 5 ans.

Vous regrettez de vous être lancé dans le bio ?
P. S. –
Non. C’est clairement un pari sur l’avenir. Mais, ce virage est inéluctable pour un vigneron responsable, soucieux de son environnement et des nouvelles attentes des consommateurs. Le bio n’a pas vocation à améliorer la qualité du vin lui-même et nous sommes déjà satisfaits de faire aussi bien. Il n’y a pas de corrélation entre le traitement bio et le goût. On respecte simplement mieux la nature. Par contre, la production coûte 30% plus cher.
 
Optimiste malgré tout ?
P. S. -
C’est mon acte de foi. Je me dis que dans quelques années nous aurons un peu moins de surcharge de travail pour faire du bio. J’espère aussi que les rendements vont s’améliorer un peu avec de nouveaux cépages résistants aux maladies. Des centaines de chercheurs travaillent sur le sujet. Le tout est d’arriver aux mêmes cépages, générant le même goût. Mon optimisme naturel me fait penser qu’on va y arriver…

Le petit manseng, un cépage d’avenir ?
P. S. -
L’expérience prouve que ce cépage magique, planté en dehors du terroir de Jurançon, peut donner des vins exceptionnels, mais bien entendu différents. Il y a des expérimentations autour de Montpellier, au Sud de Rome, en Virginie (où un Béarnais y a détecté une région qui a le même terroir qu’ici)… Aux Etats-Unis, il est en train d’atteindre le degré de notoriété du chardonay, il y a 40 ans. Les Américains, qui adorent les cépages, découvrent des vins qui leur plaisent beaucoup, même s’ils sont très spécifiques. C’est très bon pour les vignerons de l’appellation Jurançon qui vont profiter d’une notoriété nouvelle. En plus, on pourra expliquer que nous avons l’original.
 
Quelles perspectives ?
P. S. –
Globalement, le monde du vin est dans une crise profonde. La période est horriblement compliquée. Mais le Jurançon, grâce essentiellement au petit manseng, peut trouver un chemin pour se rapprocher des sommets avec les blancs secs, le seul marché qui se développe en ce moment. Nous devons saisir l’opportunité d’avoir un cépage considéré comme permettant de faire les meilleurs blancs secs du monde.
 
Comment évoluer ?
P. S. -
Il va falloir se remettre en cause et notamment au niveau du cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée (AOC). Parce qu’il y a un grand vide entre les définitions de 1936 qui disent que le Jurançon (doux) doit dépasser 40 g de sucre résiduel, et celles de 1975 qui imposent au Jurançon sec d’être en-dessous de 4 g. Or, aujourd’hui, il y a une très forte demande dans de nombreux pays, en Europe du Nord, en Inde… qui adorent les vins à 15-20 g de sucre résiduel. La profession doit avoir le courage de prendre cette question en main. Je pense que c’est une nécessité absolue. Le reste du monde existe…

Vous avez développé une activité oenotouristique très importante…
P. S. –
Elle représente aujourd’hui presque autant que l’activité vinicole. Je l’ai lancée en 2006, en me rapprochant des principaux acteurs de l’oenotourisme. Nous avons d’abord subi le choc économique de la crise des subprimes qui nous a pris à contrepied à partir de 2008. Puis, la pandémie du covid, 10 ans plus tard, au moment où l’on commençait à exister dans le paysage béarnais. Je me rappellerai toujours de ce samedi où le confinement a été imposé, alors que nous avions un grand événement festif avec 300 personnes. Toutes les heures, les directives changeaient jusqu’à la décision du premier ministre d’imposer une fermeture totale à minuit. Je l’ai appris par la radio et j’ai dû exécuter cette injonction en suivant. Ce fut très difficile. Mais paradoxalement, cette période hyper réglementée a montré nos capacités. Nous avons quand même pu monter quelques opérations (mariages, réunions professionnelles…) avant la fin de la crise, grâce à la dimension de nos salles.

Et maintenant ?
P. S. - 
Nous enregistrons un vrai décollage de l’activité, même si le taux de remplissage peut être amélioré. De plus, j’ai repris le Kildara à l’entrée de la propriété. Après deux ans de travaux, nous allons pouvoir doubler notre capacité d’hébergement et bénéficier d’une salle de réception supplémentaire. Je cherche aussi un professionnel pour rouvrir le restaurant. Je pouvais déjà loger une vingtaine de personnes en chambres individuelles, avec cette ancienne guinguette, je vais en avoir une trentaine de plus. Pour se positionner solidement sur le marché du séminaire résidentiel, pour des entreprises locales ou du Grand Sud-Ouest, nous devons proposer une offre de 60 chambres individuelles. Je dois pouvoir y arriver d’ici un an ou deux. Avec les prochains investissement et l’élargissement de la zone de chalandise, nous devrions augmenter le taux d’occupation. Ainsi, l’activité oenotouristique pourrait dépasser l’activité vinicole, même si les deux sont étroitement liées.
 
Combien de personnes sur le domaine ?
P. S. –
une dizaine, dont 3 pour la production et la vinification, 2 pour la commercialisation des vins, 3 pour l’oenotourisme. Un de mes fils s’occupe de la communication. Au total, on génère 50 emplois en équivalent temps plein à longueur d’année avec les traiteurs, le travail des vignes, les vendanges…
 
Et vous…
P. S. -
Je suis né ici et je suis tombé dans le Jurançon le jour de ma naissance : une passion historique. Même quand mes parents étaient installés à Paris, je passais plusieurs mois en Béarn, et notamment pendant la période des vendanges.

Parlez-nous de votre 3e métier…
P. S. -
Je suis aussi forestier, avec une centaine d’hectares de bois sur les coteaux. J’adore le chêne pédonculé, mais avec l’évolution climatique c’est compliqué. J’aime le hêtre, mais aujourd’hui le marché est mort. J’ai planté des peupliers, exploitables au bout de 16 ans, alors que pour la plupart des essences, il faut attendre 60 à 80 ans. Dans cette profession, il n’y a pas d’analyses long terme pour donner des perspectives. Ainsi, le premier massif d’Europe, le massif landais, a enchaîné les crises de surproduction et chaque fois un lobbying permettait de rebondir. En convaincant la ville de Paris de paver toutes ses rues de petits cubes de pins ; en poussant les mines de charbon et de fer à étayer leurs galeries avec cette essence ; en amenant l’administration des Télécoms à faire des poteaux en pin pour porter les fils… Malgré cela, il ne s’est pas suffisamment structuré pour se donner une véritable stratégie. Autre exemple : actuellement, il y a une pénurie de peupliers dont le bois blanc est utilisé pour pallier à l’interdiction des couverts en plastique. Mais personne ne sait si cela va durer ou pas.

Alexandre Saubot a pris le relais à la tête d'Haulotte

Quelques mots sur votre parcours ?
P. S. -
J’ai une formation d’ingénieur électricien, j’ai exploité mon diplôme de Supelec pendant 3 ans. Et… une nuit : quand, quelques années plus tard, j’ai dû me repencher sur mes polycopiés afin de résoudre un problème dans une de mes entreprises. Après, j’ai exploité mon énergie et mon imagination dans des domaines où j’étais autodidacte. J’ai fait de la mécanique, j’ai inventé des machines, des produits, j’ai créé des structures de gens compétents pour fabriquer des matériels très innovants, sans aucune formation personnelle. Quand les parents m’ont confié la propriété, j’avais 42 ans, j’étais autodidacte. Pareil, quand je me suis lancé dans l’oenotoursime. Je suis incapable de vinifier du Jurançon comme j’étais incapable de construire une nacelle ou une machine à barbe à papa. Mon rôle, c’est d’en savoir suffisamment pour impulser des idées, détecter des talents, les fédérer, leur donner des objectifs et les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes.
 
Que pensez-vous de la conjoncture actuelle ?
P. S. –
Tout le monde doit s’imprégner du fait que les périodes où les planètes sont alignées sont exceptionnelles. Il faut donc les prendre comme telles et en profiter. Mais, il est important d’inculquer à ses équipes que cela ne va pas durer et qu’il ne faut surtout pas prendre de mauvaises habitudes. Il faut rester en veille en se disant : c’est bon à prendre, faisons des réserves, et gardons les fondamentaux pour être prêts le jour où ça s’arrête… Et, ça s’arrête très vite. Avec la mondialisation, avec la quantité d’informations disponibles, on peut avoir l’impression que les temps actuels sont plus compliqués que les précédents. Ce n'est pas vrai. On en a simplement une conscience plus aigüe de ce qui se passe.

Des conseils ?
P. S. -
A mes équipes comme à mes petits-enfants, j’essaye d’inculquer deux vertus. A commencer par le discernement. Quand on reçoit des informations, il faut savoir prendre du recul pour les vérifier et se forger un avis le plus pertinent possible. La deuxième chose qu’il faut pratiquer, tous, c’est le radinisme industriel. Je l’ai appris d’Yvon Gattaz, l’ancien président du CNPF, le père de Pierre Gattaz : ne jamais dépenser un euro de plus que ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif !
 
Optimiste ?
P. S. –
Toujours. La France est un pays riche, et fort de beaucoup de personnes de bon sens capables de comprendre que l’on ne peut relever les défis qu’à force de volonté et de travail. Je vois aussi avec mes 12 petits-enfants, qui ont de 3 à 31 ans, qu’ils aiment bien venir et m’écouter dire des choses qui ne sont pas forcément les plus faciles à entendre, les plus agréables. Je les écoute aussi, j’entends leurs problématiques, je me mets sur leur terrain et je les pousse à la réflexion. Je suis un optimiste indécrottable.
 
Informations sur le Domaine du Cinquau, c'est ici
 
Informations sur le Groupe Haulotte, cliquez ici
 
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