« Comment suis-je devenu aficionado ? Quand j’étais gamin, on pouvait rentrer gratuitement dans les arènes de Dax, avant l’entrée du 5e toro. Les portes étaient alors ouvertes à tous ceux qui n’avaient pas les moyens. C’est ainsi que nous avons attrapé le virus avec quelques copains. Nous avions à peine 10-11 ans » s’amuse Jean-Pierre Junqua Lamarque du haut de ses 80 printemps.
« Ce sont des souvenirs marquants parce qu’à l’époque l’univers taurin était particulièrement mythique. Nous nous glissions du côté du Splendid pour voir la descente des marches des toreros et les voitures américaines le long du trottoir. Nous étions impressionnés, ébahis ».
Alors qu’il était lycéen à Bayonne, un coup de cœur pour une petite-amie espagnole lui a permis de rentrer par la grande porte dans ce monde fascinant. « Elle venait à Dax, chez un correspondant. Elle était, tout simplement, la nièce de deux des plus grands matadors de tous les temps, les immenses (et beaux-frères) Luis Miguel Dominguín et Antonio Ordóñez. Quand j’allais chez elle, ils étaient là. J’étais tellement impressionné ».
L’histoire ne s’arrête pas là. Huit ans plus tard, le jeune Jean-Pierre a l’occasion de discuter, dans les arènes de Dax, avec le torero madrilène Ángel Teruel. « Au fil de la discussion, il m’annonce qu’il allait se marier prochainement avec… mon coup de coeur d’adolescent. Nous sommes devenus très proches, au point qu’il est devenu le parrain de ma fille ».
La création de l’Estanquet booste les fêtes…
Jean-Pierre Junqua Lamarque, huissier de profession, s’est aussi fait apprécier par son dynamisme associatif dans la cité thermale, avec la création par exemple de la Table Ronde du Kiwanis Club et plus tard à l’initiative de l’association de clubs services.
C’est ainsi qu’en 1977, le nouveau maire, Yves Goussebaire-Dupin, lui propose de composer une nouvelle équipe pour l’organisation des fêtes, avec Roger Ducourau comme président.
« Nous étions tous deux passionnés d’Espagne et des ferias. La maire nous a chargé de donner une nouvelle dimension aux Fêtes de Dax. Si tous les bistrots étaient ouverts, il n’y avait pas grand-chose pour se restaurer. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer L’Estanquet (qui existe toujours). Nous avons mobilisé toutes les associations dacquoises pour les inciter à tenir un bar, avec une obligation de servir à manger. Elles ont toutes joué le jeu et c’est ce qui a véritablement lancé les Fêtes telles que nous les connaissons aujourd’hui ».
Après avoir assuré cette mission pendant 12 ans, avec un beau succès, le jeune homme, passionné de corridas, a souhaité changer d’horizons dans son engagement et s’investir au niveau de la commission taurine. En 1989, il est nommé dans cette instance présidée par Pierre Molas. Puis en 1995, le nouveau maire, Jacques Forté, lui propose de prendre la présidence de la commission.
« C’est à la fois passionnant et stressant, tellement la pression des aficionados est puissante. Concevoir et mettre en place une temporada est complexe, et ce n’est pas une science exacte. Le choix des élevages, des lots de toros et des toreros réserve parfois de très grosses surprises » sourit celui qui fait toujours référence autour du callejón.
La sélection des élevages doit démarrer très tôt, dès la fin de la dernière corrida. « On fait une sélection par rapport à tout ce qui s’est passé lors de la saison qui se termine. Il faut observer très attentivement comment se sont comportés les fers dans les différentes places, en France et en Espagne, afin de faire une première liste, tenant compte du positionnement de notre temporada. Ensuite, chaque arène a son veedor (celui qui va voir) : une sorte de courtier en bestiaux qui est mandaté pour aider à affiner le choix et organiser les visites dans les élevages. À Dax, pour construire les 7 corridas, on se rend généralement dans une douzaine d’exploitations et ce oblige plus de 6 OU 7 déplacement par an ».
Mais, ce n’est qu’un début. Faut-il encore mettre des toreros en face de chaque lot. Certains refusent de toréer les pensionnaires de tel ou tel élevage. Chacun d’eux envoi son veedor qui viendra confirmer sa participation ou au contraire refusera les toros sélectionnés. Tout cela prend beaucoup de temps. Il restera alors à négocier les tarifs. Certaines figuras sont particulièrement exigeantes et le deviennent encore davantage au fil des triomphes.
« J’ai assuré ce mandat jusqu’en 2008. Avec le changement de Municipalité, j’ai choisi de me retirer. C’était un déchirement, mais cette décision s’imposait même si je l’ai prise à contre-cœur » précise Jean-Pierre Junqua Lamarque avec émotion. « En mars, la temporada était déjà bouclée par notre équipe : elle sera marquée par le premier toro gracié dans les arènes de Dax. Cela fait quelque chose de vivre un tel événement, après avoir passé la main. Nous nous étions tellement investi pour le concevoir et le préparer ».
Dans les coulisses de la tauromachie…
L’ancien président de la commission taurine de Dax nous plonge dans quelques souvenirs qui l’ont marqué. A commencer par l’un des plus beaux : les 11 oreilles et la queue décernées lors de la corrida des Samuel Florès en 1999. « La fille de l’éleveur, Isabel, que je connaissais bien, était présente. Depuis, elle ne jure plus que par Dax. Elle était venue avec son fiancé, le fils d’Adolfo Suárez, l’ancien président du gouvernement espagnol ». Le même fer avait valu au président de la Commission taurine une belle angoisse. L’année précédente l’éleveur lui avait sélectionné un lot de toros avec des cornes en forme de guidon de vélo identique à celui de mon appartement. « Je n’en ai pas dormi pendant une semaine. Et finalement, ce toro a fait un triomphe ». Comme quoi…
Les visites chez les éleveurs sont souvent l’occasion de grands moments. « Il y a une grande différence entre le Sud et le Nord. En dessous de Madrid, on est reçu remarquablement, avec beaucoup de classe, dans des propriétés magnifiques tenues par des grands d’Espagne ». Pour l’anecdote… il y avait toutes les sensibilités dans la commission taurine.
Lors d’une visite chez les Domecq en Andalousie, certains ont refusé de rentrer dans ce temple de la haute bourgeoisie. Par principe. « Nous avons été reçus divinement bien, avec grand service plats en argent et gants blancs » ajoute Jean-Pierre Junqua Lamarque. Dans le Nord, c’est aussi un excellent acceuil mais plus simple et plus rustique.
L’élevage le plus connu est sans aucun doute Miura, un élevage mythique si célèbre qu’un courrier avec comme seule adresse ‘Espagne’ leur arrive directement à la finca Zahariche.
La pire souvenir ? La corrida d’El Pilar (Salamanque), un fiasco complet. Les toros sont tous sortis en piste avec une faiblesse incompréhensible, avant même d’arriver à la pique. Au point que trois d’entre-eux ont été remplacés. « Je n’avais jamais vu ça. Un scandale et une énorme angoisse devant 8.000 personnes : on n’avait plus de toros de réserve. La bronca a été terrible. Là, on prend 10 ans d’âge dans l’après-midi ! On n’a jamais su la véritable raison de ces défaillances ».
Le toro chanteur…
Depuis 1976, Mont-de-Marsan avait une exclusivité dans le Sud-Ouest, concernant les pensionnaires de Victorino Martin, grâce à Chopera. Jean-Pierre Junqua Lamarque a fini par trouver un biais pour convaincre son ami éleveur de venir à Dax sans rompre cet engagement. « Je lui ai demandé de nous fournir un seul toro pour une corrida concours, qui met en lice 6 élevages différents. Il a accepté et j’étais particulièrement heureux d’aller le voir au campo ».
Embarqué dans un 4x4 aux côtés de l’éleveur, accompagné par trois de ses amis sur la banquette arrière, il arrive à hauteur du toro. « Une bête insignifiante, avec en plus des cornes teintées de vert (il s’était frotté contre un grillage). - Tu t’es trompé, tu ne peux pas venir à Dax avec ce toro (J’imaginais déjà la contestation de l’arène en voyant ce spécimen pas possible). - Non, non, il est bien, tu ne le vois pas. Mes amis insistaient : tu dois le prendre ! A ce moment-là, le toro se met à beugler… Victorino Martin me dit alors : non seulement il est vert, mais en plus de ça il chante. Éclats de rire… Une plaisanterie faite avec la complicité de la banquette arrière et qu’il aimait me rappeler chaque fois que je le rencontrais ». Par la suite, il m’amenait voir le toro choisi dont la présentation était parfaite.
Le président de la Commission taurine a aussi voulu donner leur chance à des jeunes. Ce fut notamment le cas pour un Andalou. « Lors d’une visite de Fuente Ymbro, à côté de Jerez, un garçon nous a rejoint à cheval. L’éleveur était élogieux. Du coup, je lui ai proposé de venir faire ses débuts dans nos arènes. Il s’agissait de Miguel Angel Perera qui est devenu depuis une figure de la tauromachie. Il a gracié un toro à Dax en 2008 ».
Au cours de ces décennies à baigner dans le Mundillo, à côtoyer les plus grands éleveurs comme les matadors les plus inspirés et les plus talentueux, Jean-Pierre Junqua Lamarque est une mémoire vivante de la tauromachie, tout en finesse, en subtilité et en humilité. Son aficion n’a pas diminué, bien au contraire. Ce qui lui permet d’être un observateur d’autant plus avisé qu’il n’a plus de pression. « Monter une temporada, pour les arènes de Dax, représente une responsabilité particulièrement stressante ».
L’ancien président de la Commission taurine peut aussi profiter pleinement de cette Feria dacquoise qu’il a contribué à relancer pour en faire l’une des plus réputées du Grand Sud-Ouest.
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