En marge de ce ballet millimétré, les frères Coussau s’apprêtent à déloger une taupe qui a pris ses aises dans le jardin. Tout doit être impeccable pour l’heure du déjeuner.
Mais on a quand même le temps de « cuisiner » un peu le maître des lieux, incarnation de l’excellence gastronomique « à la landaise ».
On lit un peu partout que vos arrière-grands-parents étaient déjà dans le métier, mais on n’en sait pas forcément beaucoup plus… Vous nous faites un petit résumé ?
Jean Coussau - Mes arrière-grands-parents tenaient en effet déjà une auberge à Laluque au milieu du XIXe siècle. Ce sont mes grands-parents, Louis et Denise Coussau, qui se sont installés à Herm, où ils eurent aussi leur auberge. Historiquement, leur proximité avec la Voie de Tours (l’un des 4 chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle traversant les Landes, NDLR) leur permettait de capter une importante clientèle de passage. Mes parents ont ensuite acheté à Magescq en 1952, pour se rapprocher des axes routiers et de la nouvelle clientèle de l’époque...
C’était historiquement un vrai relais des postes. Il faut s’imaginer les chevaux un peu partout ?
J . C. - Absolument : notre cave est d’ailleurs installée dans les anciennes écuries de ce relais, un beau bâtiment d’époque. Et d’autre part, si vous regardez bien, nous avons devant le Relais une rangée de platanes vieux de 200 ans. Les énormes loupes qui se sont formées aux pieds de ces arbres viennent des anneaux qu’on y vissait pour attacher les chevaux. Nous avons des photos de la maison en 1893 : ces platanes étaient déjà aussi grands qu’aujourd’hui…
Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre enfance et de vos premiers souvenirs culinaires ?
J . C. - J’avais 3 ans quand mes parents ont lancé leur activité à Magescq. Il n’y avait pas autant de monde qu’aujourd’hui en cuisine… J’y passais beaucoup de temps, seul avec mon père et ma mère, qui faisait le service. À 5 ans, j’épluchais les légumes, je battais les œufs… Je me souviens bien sûr de la bonne odeur des soupes du matin, des civets et des salmis, mais le véritable déclic s’est produit quand j’ai eu 9 ans et que j’ai goûté à l’ortolan…
On devine que la disparition de cette chasse traditionnelle vous chagrine…
J . C. - On embellit sans doute un peu le souvenir du temps où l’on se régalait fréquemment de ce mets. Mais je trouve dommage qu’on soit de nos jours dans cette logique d’interdiction systématique. On sous-estime le rôle de régulation des chasseurs : les interdictions peuvent aussi constituer une menace pour les espèces. Sans parler du fait que c’est effectivement une lointaine tradition qui disparaît…
La rigueur et l’attachement à ces traditions landaises sont les deux choses qui reviennent le plus souvent quand on entend parler de vous. Ça vous va ou c’est réducteur ?
J . C. - Il n’y a pas que ça, bien sûr, mais ça me va. Je n’hésite jamais à réaffirmer mes origines et mon attachement à la culture et aux traditions locales, en particulier culinaires, qui sont d’ailleurs de toutes natures. Ma mère était une encyclopédie vivante des choses de la nature : elle connaissait toutes les espèces locales de fleurs, de plantes et d’oiseaux. Elle avait ce bon sens paysan et cet amour des choses de la terre qui font souvent défaut aujourd’hui. J’essaie à mon niveau de préserver et de transmettre ce savoir. Mais rien de tout cela n’est incompatible avec une certaine modernité. Ici, tout ce que nous servons est produit dans les environs immédiats. À l’heure où l’on découvre le bio et les nouvelles façons de consommer, nous pouvons dire que cela fait plus de 50 ans que nous sommes ce qu’on appelle maintenant des « locavores » !
Maintenant que la belle saison touche à sa fin, quel bilan faites-vous de vos activités d’hôtellerie et de restauration pour cette année 2019 ?
J . C. - C’est une très belle année, avec notamment beaucoup de visiteurs étrangers. Depuis quelques années, l’attrait des Landes se fait nettement sentir. Il y a un réel « effet Landes », qu’on peut associer à un besoin de revenir aux grands espaces, à la naturalité. La situation est donc idéale pour nous comme pour le département en général. Mais, il faut tout de même rester vigilants et ne pas laisser faire n’importe quoi. La région doit garder son authenticité et rester une destination à taille humaine. On semble d’ailleurs en avoir bien conscience aujourd’hui au niveau du Département. Pendant 40 ans, nous avons un peu été une destination « camping-sandwich », mais on se rend aujourd’hui compte que nous avons beaucoup d’autres atouts. En ce qui nous concerne, pour donner un ordre d’idée, l’activité aura progressé d’environ 5% en 2019, alors que nous avions déjà fait +8% l’an dernier. Nous restons le principal employeur de Magescq avec jusqu’à 82 employés pendant l’été. Nous recherchons assez souvent du personnel sur la partie hôtellerie.
Votre table gastronomique, doublement étoilée au Michelin depuis 48 ans, est évidemment la vitrine et la locomotive de l’activité. Comment trouve-t-on l’équilibre entre d’un côté ce positionnement de garant d’une immuable tradition culinaire landaise, et de l’autre la nécessité de plus en plus pressante d’innover et de surprendre avec régularité ?
J . C. - On ne va pas se mentir : le maintien de ce statut est évidemment pour nous un sujet de préoccupation constant. Sur la durée, nous nous sommes beaucoup modernisés. La carte évolue régulièrement, au gré des saisons comme des années. Côté produits, les valeurs sûres restent les mêmes, mais nous menons un travail permanent pour faire varier ou évoluer les garnitures, les sauces, les accompagnements, les assaisonnements, etc. C’est de cette façon que nous avions imaginé nos asperges blanches de Magescq farcies au tourteau. Autre exemple, on servait auparavant le turbot à la béarnaise, et désormais avec des morilles farcies de cèpes, un risotto de coquillages et une marinière crémeuse.
J . C. - Il y a quelques incontournables qui doivent évidemment rester tels quels à la carte, comme la sole aux cèpes frais (nous en servons toujours une trentaine chaque jour à l’époque des cèpes) ou ce foie gras aux raisins dont certains disent que c’est le meilleur du monde… Certains clients viennent 3 ou 4 fois par an pour leur foie gras et leur sole. Nous pouvons aussi ajouter à ces grands classiques le saumon de l’Adour, que nous servons pendant 3 mois dans l’année. Un produit exceptionnel : quand on n’a pas goûté le saumon de l’Adour, on ne peut pas dire qu’on ait vraiment goûté au saumon !
Enfin, pour faire tout ça, ajoutons que nous avons tout ce qu’il faut à Magescq. Les producteurs locaux sont des passionnés qui ne comptent pas leurs heures. Au niveau du Relais, on peut aussi dire que notre entrée dans les Relais & Châteaux, il y a 20 ans maintenant, nous a conduit a d’autres opérations de modernisation, avec un spa, des espaces de massage et de soins, etc.
Vous avez également deux autres tables, qui viennent d’ailleurs toutes deux de fêter leurs 10 ans. On commence par le Jean des Sables d’Hossegor, qui a changé de chef l’an dernier. La nouvelle formule a l’air de plutôt bien fonctionner : vous en êtes content ?
J . C. - Au départ de ce restaurant, il y a eu la volonté du maire d’Hossegor, qui considérait que toute station balnéaire digne de ce nom se devait d’avoir une belle table. En dépit d’une fréquentation certes moyenne, nous y avons eu pendant des années un excellent chef. Depuis le 1er janvier 2018, un jeune chef, Clément Pichard, a pris sa suite. Nous avons travaillé à proposer une cuisine de la mer en essayant d’obtenir un bon rapport qualité prix, avec un ticket un peu supérieur sur les boissons mais un menu moins cher, à 50 euros. Toute la pêche vient de Capbreton. Le chef y connaît tous les pêcheurs. Pour l’anecdote, il n’y a plus qu’un seul bateau qui fait du chipiron au port de Capbreton. Et donc pas de chipirons surgelés venus de Patagonie chez Jean des Sables !
Et pour la table-auberge « Côté Quillier », à deux pas du Relais ?
J . C. - L’idée était de faire un bistrot de chef avec une cuisine du marché, et en même temps une table bourgeoise plus économique. Il s’agissait de fidéliser une clientèle régulière et familiale. Cette table a été aménagée dans l’ancienne maison de mes parents. Le lieu est calme et agréable. Il enregistre aujourd’hui une très belle fréquentation. Nous n’y servons que des produits frais, avec des menus à 27 et 37 euros. Il faut savoir que dans cette tranche de prix, une étude montre que 80% des restaurants s’approvisionnent aujourd’hui chez les grossistes de l’alimentaire… Pour notre table-auberge, nous faisons absolument tout nous-mêmes avec des produits d’ici.
Et vous faites aussi votre propre « vin des sables »…
J . C. - Oui, nous avons notre « Domaine de la Petite Lagune » avec 1.200 pieds de merlot, de tannat et de cabernet sauvignon. Nous produisons et vendons au Relais environ 900 bouteilles de rouge et 250 de rosé de saignée. La production est suivie par le maître de chai du Château Malartic-Lagravière. Ce sont des vins qui ont une vraie « couleur locale ».
On change un peu de sujet. Que vous inspirent toutes ces émissions culinaires qui fleurissent depuis une dizaine d’années à la télévision ? Cette espèce de regain d’intérêt pour la gastronomie ?
J . C. - Je dirais que la médiatisation fait aujourd’hui partie de notre métier. Elle a bien sûr un côté positif, parce qu’elle pousse globalement à mieux manger et à changer nos pratiques. Mais tous ces programmes ont aussi pour petit effet pervers de laisser croire qu’on peut devenir chef de cuisine en 3 mois… Il y a également un côté « spectacle » qui peut être un peu dérangeant…
On doit vous proposer souvent d’y participer, non ?
J . C. - Oui, bien sûr, cela arrive… Mais je ne me sens pas trop à l’aise avec ça. Même chose pour les activités de « consulting ». Ce n’est pas vraiment mon truc…
Justement, qu’est-ce que vous aimez faire quand vous sortez des cuisines ?
J . C. - La chasse, la pêche, le golf… Toujours avec le même noyau d’amis, pour la plupart d’ici, où j’ai passé toute ma vie : j’ai été à l’école et au collège à Magescq et à Dax, etc. En ce moment, on espère qu’on pourra chasser l’alouette dans de bonnes conditions…
Vous travaillez également en famille, avec votre frère Jacques, en charge des vins et du service, votre nièce Clémentine, appelée à prendre la relève en cuisine, et votre épouse Annick, qui gère la partie hôtellerie. Une organisation particulière, mais qui semble tenir la distance…
J . C. - Nous travaillons ensemble en ayant tous besoin les uns des autres. Cela fait maintenant 40 ans que je travaille avec mon frère. Il y a bien sûr des frictions, mais quand on s’engueule, c’est toujours pour la bonne cause. En ce qui concerne ma nièce, elle a maintenant 30 ans, dont 10 passés dans des restaurants 2 et 3 étoiles en France, et sera effectivement appelée à évoluer de façon de plus en plus autonome.
Mis à part chez Michel Guérard, Alain Dutournier ou les autres grands chefs du Sud-Ouest et du nord de l’Espagne que vous connaissez bien, vous iriez manger où, pour changer ?
J . C. - Personnellement, j’aime bien la cuisine traditionnelle régionale, me sentir transporté à travers la cuisine dans les terroirs où je déjeune. Le meilleur compliment qu’un client m’ait fait, c’est de me dire qu’en s’installant chez nous, en fermant les yeux et en goûtant, il savait qu’il était à Magescq. Mais pour sortir un peu du cadre des Landes, je pourrais par exemple citer la table d’Olivier Roellinger à Cancale.
Cet été, vous avez été intronisé dans la fameuse confrérie gastronomique des Jabotiers de Saint-Sever, comme votre père il y a une cinquantaine d’années. Comment se fait-il que ça ne se soit pas fait plus tôt ?
J . C. - Pour une raison très simple. Il faut savoir que les intronisations ont généralement lieu le troisième week-end de novembre. Or chaque année, je pars en vacances à cette période de l’année, pendant un mois. Et avec mon épouse, on ne transige pas là-dessus : c’est un moment absolument nécessaire pour décompresser, couper avec la tension du métier et recharger les batteries !
Un dernier mot sur le cadre du Relais : vous avez plusieurs belles toiles anciennes accrochées aux murs, dont celle du hall d’accueil, assez typique…
J . C. - C’est une toile de Louise Lalande, une artiste du XIXe. C’est vrai que nous avons accumulé ici des œuvres de plusieurs peintres régionaux au fil des années. Nous en avons par exemple quelques-unes de Sourgen, que nous songeons à raccrocher. Je les aime bien, car elles représentent simplement et joliment les Landes…
Si vous voulez plonger dans l’ambiance, allez sur relaisposte.com
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