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Euskara, des racines anciennes à une urgence moderne

Depuis des millénaires, l’euskara résonne des deux côtés des Pyrénées. Ancrée dans le paysage culturel pyrénéen, la langue basque est un trésor fragile.
La Korrika qui se déroule chaque année, contribue à la promotion de l'euskara
Presselib DR
À Bayonne, des associations et militants lancent un cri d’alarme sur l’urgence linguistique et appellent à des actions concrètes pour garantir sa transmission aux générations futures.
Des associations comme Euskal Babel oeuvrent à la survie de la langue basque
Euskal Babel DR

Parmi les langues les plus énigmatiques du monde, l’euskara fascine chercheurs et passionnés. Non apparentée aux langues indo-européennes, elle trouve ses racines bien avant l’arrivée des populations néolithiques dans les Pyrénées occidentales. Les analyses génétiques révèlent que les Basques descendent directement des populations paléolithiques ayant occupé la région il y a plus de 15 000 ans. Pendant la dernière glaciation, ce territoire a servi de refuge aux communautés européennes, contribuant à la persistance de traits génétiques et peut-être même linguistiques uniques.

L’euskara témoigne d’un continuum historique exceptionnel. Bien que ses contours aient évolué, elle demeure l’une des dernières survivantes des langues parlées par les premiers habitants d’Europe. Des ressemblances grammaticales et lexicales avec d’autres langues non indo-européennes alimentent les hypothèses sur ses connexions anciennes, mais ses origines exactes restent un mystère. Ce patrimoine, hérité d’une longue histoire, risque aujourd’hui de s’effacer.

Une alerte préoccupante

À Bayonne, le Conseil d’Euskalgintza et la Confédération Basque ont récemment pris la parole pour alerter sur ce qu’ils qualifient d’« urgence linguistique ». Selon Sébastien Castet, représentant de la Confédération, les politiques publiques actuelles ne répondent pas aux besoins des citoyens attachés à la langue basque. Les chiffres de l’enquête sociolinguistique de 2021 montrent une réalité préoccupante : seulement 21,1 % de la population du Pays basque nord est aujourd’hui locutrice de l’euskara, un pourcentage qui pourrait chuter à 16 % d’ici 2050.

Plus inquiétant encore, l’usage quotidien de la langue recule, souvent en raison d’une maîtrise incomplète par les locuteurs. Malgré tout, des signaux encourageants subsistent : un nombre croissant de familles optent pour une éducation bilingue pour leurs enfants, et de nombreux adultes s’engagent à apprendre ou réapprendre l’euskara. Cette volonté populaire contraste avec les moyens insuffisants investis par les pouvoirs publics pour accompagner cette dynamique.

L'association Plazara apporte aussi sa pierre à l'edifice
Plazara DR

La mondialisation, couplée à la numérisation et aux changements démographiques, renforce la pression exercée sur les langues minorisées. Ces dynamiques favorisent les idiomes dominants, tels que le français ou l’espagnol, aux dépens des langues comme l’euskara. Dans ce contexte, les locuteurs natifs se tournent souvent vers des langues perçues comme plus utiles ou accessibles, délaissant parfois leur langue maternelle. Sébastien Castet, membre de la Confédération Basque, rappelle que la préservation de l’euskara nécessite une volonté politique accrue.

Les défis politiques et financiers

Parmi les obstacles majeurs à la revitalisation de l’euskara, le cadre juridique figure en tête. Le collectif Euskal Konfederazioa milite activement pour des changements législatifs, notamment la modification de l’article 2 de la Constitution française, qui empêche la reconnaissance officielle des langues minoritaires. Sans ce levier, de nombreux projets linguistiques restent sous-financés ou inefficaces. Cette situation limite la portée des politiques linguistiques et freine l’épanouissement de l’euskara dans la sphère publique.

Les militants appellent ainsi à une révision constitutionnelle pour lever ces blocages. La question budgétaire est également cruciale. L’Office public de la langue basque (EEP), principal acteur du développement linguistique dans la région, peine à obtenir des ressources suffisantes pour répondre aux besoins croissants des associations et structures éducatives. Ces lacunes freinent des initiatives pourtant prometteuses, comme l’augmentation des crèches en immersion basque ou les formations linguistiques pour adultes.

Presselib DR

Un avenir bilingue encore possible

 Face à cette situation, les associations basques refusent le fatalisme. Elles demandent une mobilisation collective et des actions concrètes. Idurre Eskisabel, secrétaire général d’Euskalgintza déclare qu'il n'est pas trop tard pour inverser la tendance. Universaliser l’apprentissage de la langue et créer des espaces où elle peut être utilisée confortablement sont deux axes prioritaires.  

Les objectifs restent ambitieux : atteindre 30 % de locuteurs d’ici 2050, un premier palier vers une population bilingue. Pour cela, des investissements dans l’éducation, les médias et les services publics en basque sont essentiels. Le cri d’alarme lancé à Bayonne est aussi un appel à tous les acteurs institutionnels pour garantir le respect des droits linguistiques des bascophones et préserver ce trésor culturel inestimable.  

La déclaration d’urgence linguistique par les associations basques n’est pas un appel au pessimisme, mais une invitation à l’action. Pour Castet, sauver la langue basque revient à préserver un pan essentiel de sa diversité culturelle et de son histoire commune. L’enjeu dépasse les frontières régionales, touchant de ce fait à la protection des langues minoritaires à l’échelle européenne.  

Il est encore temps d’agir, mais l’urgence est palpable. Les prochaines années seront décisives pour transformer ce défi en opportunité et faire de l’euskara un exemple de résilience et de renouveau linguistique.

Sébastien Soumagnas

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